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L’alambic

Les cuves tirées et la dernière goutte de vin « envaissellée », les deux distillateurs du village filaient dare-dare auprès du receveur buraliste Mr CHARTON, lequel ajoutait à ses fonctions, celle de maire et de chef de musique, afin d’y déposer une déclaration d’intention.

L’atelier public, ainsi désignait-on officiellement l’alambic, devait être agrée par l’administration et l’emplacement réservé à la distillation fixé par le maire.
Dans les 48 heures, deux agents des contributions indirectes surnommés « rats de cave », sans doute par quelques mauvaises langues, venaient alors en briser les scellés déposés à la fin de la précédente campagne. Dès lors nos deux « gouttiers » s’installaient Cour de l’Arc pour l’un, et devant le lavoir pour l’autre, au pied de leur tas de briquettes, prêts à travailler. Plus tard, aux environs de la deuxième guerre mondiale ils officieront côte à côte dans la Cour de l’Arc.

« L’alambic ALEXANDRE » dans la Cour de l’Arc avec, en partant de la gauche: Georges DICONNE, André ALEXANDRE, Henri ALEXANDRE (accroupi). A droite on reconnaît Pierre ALEXANDRE. Par contre nos recherches n’ont pu mettre un nom sur la personne moustachue tenant le verre à la main…

Peut-être le fruit d’un semblant de jalousie mais plutôt d’une certaine préférence, chacun bouillait invariablement chez le Pierre Alexandre ou chez le Jean Fontaine. Mais revenons à nos chaudrons.

Chacun y apportait sa genne, sa lie, ses fruits minutieusement conservés dans ses tonneaux. Le distillateur s’activait dans un nuage de fumée épaissie par les remugles des produits en sublimation. Dans tout le village l’air embaumait ou empestait selon l’avis de chacun.

La journée commençait aux premières lueurs de l’aube, avec le dégrillage du foyer dont le feu couvait sous la cendre, quelques coups de ringard, une poignée de brindilles pour raviver la flamme endormie, une briquette coupée en huit et le tour était joué. Il ne restait plus alors à notre distillateur, après en avoir vérifié le niveau d’eau, de satisfaire à grandes gueules bées l’appétit du chaudron.

« L’alambic FONTAINE » avec , assis sur le tas de genne, Jean FONTAINE et sur l’échelle Alphonse FONTAINE. Sur cette photo on peut voir les deux alambics installés dans la Cour de l’Arc

Une grande heure à attendre, à alimenter le foyer tout en surveillant discrètement l’élévation de la température du rectificateur annonçant une venue imminente, et puis le pèse-liqueur qui commence à tintinnabuler et s’élever dans le collecteur : «  la voilà, elle arrive, 70-75 degrés déjà ». Rapidement il faut réduire et contrôler le feu. Notre brandevinier lui apporte désormais toute son attention, la coulée terminée il mouille la gnôle dans la velte (double décalitre gradué) jusqu’à obtenir la densité autorisée. Avec cent litres de marc l’on récoltait dans les dix litres d’eau de vie, bien souvent moins chez les petits récoltants, qui désirant assurer leur boisson de l’année, avaient rallongé la sauce en mouillant largement leur cuve pour économiser le sucre. Les lies rendaient proportionnellement à leur degré et les fruits un litre d’alcool supplémentaire par kilo de sucre rajouté. Et pendant tout ce temps la chaudière ne cessait de fumer, de souffler, de vesser comme saoulée d’avoir à pisser tant de gouttes.

Le garde champêtre du village, l’Alcyde Bierry, se faisant un devoir avant de se rendre tôt auprès de Monsieur le Maire, d’une visite de courtoisie, s’arrêtait pour prendre une bonne lichette toute chaude à la sortie du rectificateur. A 60° et même un peu plus, il fallait une bonne dose de dévouement et un sacré gosier pour l’avaler. Et pourtant en ces temps-là, les volontaires n’étaient pas rares.

Le soir, seulement après six heures, les récoltants munis de leurs laissez-passer emportaient leur eau de vie avec force précaution ; la plupart du temps dans un tonnelet car il est bien connu qu ‘elle vieillit mieux dans le bois que dans le verre. Les résidus à la sortie du chaudron finissaient dans les jardins en guise d’engrais.
Il faut tout de même avouer que l’on buvait pas mal de gnôle en ces temps, et même à vous râper le gosier, le tord-boyaux n’avait guère de chance de passer l’année. De plus on l’utilisait volontiers pour désinfecter les plaies et soutenir certains esprits fatigués.

Toujours est-il que chaque récoltant bénéficiait d’un privilège donnant droit à mille degrés soit vingt litres à cinquante degrés. Pas un poil de plus, l’excédent devant être scrupuleusement  noté par le bouilleur sur son livre de régie, ou disparaître par enchantement…!

Durant la première moitié du siècle dernier, la majorité des gens vivant en autarcie, une centaine de personnes se prévalait de ce droit. L’accès à celui-ci disparut en 1959 et aujourd’hui nous ne sommes plus guère à en profiter. À l’orée de 2007, ce privilège qui a pourtant conforté tant de ministères lors des élections de la troisième république, va pourtant disparaître. Désormais chaque producteur pourra dit-on brûler « matière à distiller », jusqu’à concurrence de cinq litres d’alcool pur soit  dix litres à cinquante degrés, mais par contre acquitter des droits excessivement élevés.

Est-ce la toute dernière façon de lutter contre l’alcoolisme, je vous en laisse seul juge. Quoi qu’il en soit, c’était dans les années trente et quelques, juste un peu avant la guerre…

Henri.

La Bue

COUTUME DU PASSE : LA BUE AU XIX° SIECLE

 Qui de vous mesdames, parcourant vos toutes premières brocantes ne s’est pas émerveillée à la vue du trousseau de nos grands mères et amoncellement de linge blanc proposé à votre envie ?

Draps de chanvre, serviettes et nappes de lin, linge de corps et mouchoirs de baptiste si minutieusement brodés et chiffrés, lavés le saviez-vous seulement deux fois l’an : le jour de la grande bue ou bouée.
Pour nos aïeux, la bue, c’était tout un cérémonial ordonnancé méticuleusement par la maîtresse de maison, la date, les hâles de mars et les chaudes journées de septembre, afin de profiter au mieux d’un temps sec.
Il faut tout d’abord trier le linge et le faire tremper, convoquer pour le lendemain les lavandières qui vont l’emporter décrasser au canal, l’eau y étant plus douce avec force de coups de brosse et pelle de bois.
Pendant ce temps, les hommes auront allumé la cheminée, tamisé les cendres de bois recueillies tout au long de l’année, préparé la grosse marmite emplie d’eau et à proximité procédé à la mise en place du cuvier.
Dressé à bonne hauteur sur un trépied, il s’agit  d’une cuve de bois blanc uniquement de plusieurs centaines de litres, munie d’une claie et perforée à sa base afin d’y recevoir une chèvre de bois permettant l’écoulement.
Le linge revenant du décrassage y est déposé par minces couches successives, entrecoupées de copeaux de savon, de cristaux de soude, de cendre de bois et même de saponaire, cette fameuse plante dont la propriété première est de faire mousser à l’égal du savon.
Le tout est arrosé d’eau bouillante laquelle après avoir lentement traversé l’ensemble est successivement récupérée , réchauffée et répandue à nouveau, liquide de plus en plus visqueux, le luchu, le jus de la buée diront nos anciens et ceci durant la journée entière.
La maîtresse de maison ayant jugé l’opération terminée, les lavandières reprennent en main tout ce beau linge et dare dare s’en vont le rincer copieusement à la fontaine du village avant de l’étendre sur l’herbe afin qu’il puisse y sécher librement.
Les jours suivants tout est méticuleusement vérifié, empilé, repassé, empesé puis précautionneusement empilé dans ces belles et profondes armoires de chêne ou de fruitier tant convoitées aujourd’hui, et la maîtresse de maison s’en retourne fière d’un si bel ouvrage.

Que d’eau passée depuis sous les ponts, avant d’en arriver à nos machines à laver si prisées aujourd’hui !

Henri