Le canal du centre

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Le canal du centre

De tout temps, le transport fluvial fut parmi les moyens de communication le plus privilégié. Mais pour ce faire les fleuves et leurs affluents ayant leurs limites, il a fallu très tôt envisager la réalisation de canaux afin de désenclaver toutes les provinces du territoire français.

Relier l’Atlantique à la Méditerranée en traversant la Bourgogne : un premier projet apparu au XVI° siècle repris sous Henri IV, puis sous Louis XIIl. Il faudra attendre 1793 pour qu’Emiland GAUTHEY réalise le canal du Morvan qui par la suite prendra le nom de Canal du centre.

 


Le premier coup de pioche fut donné par Clermont de MONTOISON seigneur de Chagny le 18 août 1783. Ce fut l’armée qui procéda aux tous premiers travaux, pris plusieurs milliers de personnes en une quinzaine de chantiers y travaillèrent en permanence pendant une dizaine d’années.

La particularité de ce canal dans notre région ce fut d’épouser au maximum la pente des coteaux existants, ce qui, tout en lui donnant une plus grande réserve d’eau, en a grandement facilité la réalisation. Un canal au départ très étroit, recreusé et élargi par FREYCINET entre 1885 et 1895.
Au niveau de notre village il a permis d’exploiter plus judicieusement les carrières, un ample bassin relativement peu profond ayant été créé par la suite au lieu-dit « Sous la croix » afin d’y tourner les bateaux vides.

Une évocation de mon enfance : une bonne vingtaine d’élèves dans chacune des deux classes, autour de Mme RENAUD et de Mr CHAROLIAIS. Avec Ie maire et le curé ils personnifiaient I ‘autorité au village. Seulement 4 voitures, 5 téléphones, quelques rares poste TSF, c’est dire combien pour les jeunes enfants que nous étions, I ‘esprit curieux de tout, ce canal était attractif.

Les bateaux, nous les entendions venir de loin car à l’approche du pont, avec son chenal très étroit, il leur était nécessaire de se signaler par une corne retentissante. D’ailleurs les différentes perceptions permettaient aux habitants de prévoir assurément le temps.
Dès lors nous nous précipitions pour les regarder. Quelques fois hommes et jeunes étaient attelés à la bricole (la corde venant du bateau était reliée à un harnais posé sur les épaules de l’homme), mais plus souvent le halage était assuré par deux mulets. Il le sera plus tard par de puants étroits racteurs.
Cette longue corde de chanvre reliant la péniche à un palonnier, avançant de guingois au rythme des montures qui prenaient appui l’un sur l’autre, captivait nos yeux.

Profitant de l’étroitesse du passage du pont la marinière sautait à terre, et se précipitait à l’épicerie « Café CHARY » afin d’y faire ses courses (bien souvent à crédit), la péniche s’amarrant au bord le plus proche
Les mariniers transportant du charbon avaient droit à leur chauffe pour le retour, et il n’était pas rare de les voir, après avoir vidé quelques chopines, déambuler le sac de charbon sur l’épaule afin de l’échanger facilement à cette époque, contre quelques précieux litres de vin.

Dans notre région les péniches transportaient de tout : la pierre extraite des carrières environnantes et stockée le long de levée face au lavoir, les briques et tuiles de Chagny, Ecuisses et Montchanin, les produits sidérurgiques du Creusot, les graviers et sables de Saône, le bois en grumes, le charbon de Montceau, les céréales pour y être déchargées à Chagny (par la suceuse du Moulin NICOT), et même des fûts de vin, en fait tout ce que nos énormes camions amènent à demeure aujourd’hui.

Ce qui entretenait le plus notre curiosité, c’était le grand lavoir, depuis peu comblé, situé juste au-dessus de l’actuelle mairie. L’eau du canal étant plus douce que celle de la fontaine la quasi-totalité des femmes du village venaient y décrasser leur linge, le battoir à la main, à genoux dans d’étroites caisses en bois bourrées de paille, qu’elles s’empressaient de remporter, sous peine de les retrouver flottantes au fil de l’eau, Le lavoir c’était le lieu de prédilection, des potins du village. Les commérages allaient bon train, tout était analysé, décortiqué, le vrai, le faux, à chacun était taillé un costume, une façon comme une autre d’oublier sa fatigue.

A cette époque, on ne parlait pas de pollution. C’est là que buvant fortes tasses nous avons tous appris à nager avec un regard admiratif pour les aînés. Ils plongeaient gracieusement depuis le lavoir, et pour les plus intrépides, depuis le dessus du pont.

Le lavoir, un lieu privilégié pour le 14 Juillet. On y couchait au-dessus de l’eau un mât savonné, pour que les plus courageux puissent s’entrainer, souvent d’ailleurs en y tombant, à décrocher le drapeau fixé à son extrémité.

Le canal c’était aussi l’été les berges fauchées au dard, les nids de poules minutieusement comblés, les acacias coupés en arrière-saison par les cantonniers prévoyant un hiver précoce. Hiver que nous attendions, les premières gelées avec une mince couche de glace sur le canal, vite détruite par l’éclusier en abaissant le niveau du bief. Mais le froid s’accélère, la couche de glace s’épaissit bloquant tout trafic. A nous les gosses d’en vérifier la solidité par le jet d’énormes pierres : ça porte..? et c’est parti pour la glissade et les semelles de nos sabots de bois ne font pas long feu même si nos parents prévoyants les ont généreusement cloutées.

Les carrières fonctionnant au ralenti, le port où depuis belle lurette les bateaux ne tournaient plus, était envahi par tout un maquis d’énormes roseaux qui l’avaient pratiquement desséché. D’intrépides pêcheurs s’y étaient frayé un passage construisant avec quelques planches une passerelle, ils avaient pu dresser un ponton à la limite du chenal. Les places étaient âprement convoitées, la friture y était garantie.

Mais ce qui nous a le plus marqué et constitue pour nous un inoubliable souvenir c’est la vidange complète du canal programmée tous les 5 ans en août, et annoncée à l’avance : voir l’eau baisser en découvrant  lentement les murs et les platis, jusqu’à laisser apparaître par endroit une épaisse couche de vase…
Il ne reste plus qu’une trentaine de centimètres d’eau dans le chenal et là c’est du grand spectacle  l’apothéose en quelque sorte, le droit de pêcher aux engins pour tous ceux ayant une carte : les éperviers, les troubles, les carreaux goujonniers, les gosses dans le canal à rabattre le poisson, de véritables pêches miraculeuses, d’énormes carpes, tanches, anguilles, une débauche de friture.

C’est la fête au village. Puis les quilles étant levées et le bief aussitôt asséché. nombreux seront les entrepreneurs, embauchant d’ailleurs tous les volontaires, à procéder à un très minutieux jointage des murs ou renforcement des berges et la mise en conformité des écluses. Quelques mois de chômage, et le canal est remis en eau.

Mais les années s’écoulent et ce malgré la présence d’automoteurs concurrencés par le trafic ferroviaire. Le fret fluvial, également repris par d’innombrables camions, le trafic s’y amenuise. Même un enfant du pays, le Dédé MUNTZ , après s’être arrimé longuement en attente, a dû se résoudre à livrer sa péniche « LE GANI » à la démolition.

Notre bon vieux canal a largement dépassé les deux siècles d’existence, les peupliers le long de ses berges ont été coupés, leurs racines créant des voies d’eau. Le jointage des murs, pourtant indispensable après le passage des bateaux de tourisme à une vitesse élevée, a été un moment délaissé. Il tourne à la passoire !

Mais une prise de conscience a vu le jour. Des polyplanches ont été battues, des injections de ciment réalisées, et tout dernièrement le rejointage des murs apporte un relookage qui cache encore pas mal de misère. Heureusement, ces dernières années les mentalités ont évolué, avec la découverte de L’indispensable valeur de notre environnement.
 
Henri